Quand je me suis garée devant la barrière de l'écurie, j'ai vu une
silhouette s'écarter brusquement de la clôture d'Urlendin et se faufiler à
travers les arbustes du sous-bois. C'était une fille ; je l'ai su à la
crinière blonde, bouclée, qui a étincelé quelques secondes dans les rayons du
soleil couchant avant de se fondre dans l'obscurité.
Cette fuite à mon approche m'a contrariée. Depuis que les problèmes de
vache folle ont secoué le monde, beaucoup de carnivores suspicieux se jettent
sur la viande de cheval. Certains se fournissent carrément sur la bête, quand
ils la trouvent broutant paisiblement dans un pré isolé. C'est arrivé à
l'ancienne propriétaire d'Urlendin. On lui a débité une pouliche sur place, sur
la colline d'en face, à cinq cents mètres à vol d'oiseau. Ça donne le frisson.
Il y a une quinzaine de jours, nous avons relevé les traces d'une
tentative de vol, ici même. Nos boxes ne sont pas perdus en pleine campagne,
mais en haut de la ville, à la limite de la forêt. Tout le monde sait que les
chevaux sont seuls pendant la nuit.
J'ai poussé la barrière hérissée de barbelés, avancé la voiture au
plus près de l'écurie et ouvert le coffre pour que Laïka, ma bergère allemande,
en descende. Tierce et Hamsine, les deux juments alezanes, avaient accompagné
la voiture au grand galop, comme chaque soir. Dans l'enclos du fond, Alligator
m'a saluée d'un hennissement guilleret. Mais, de l'autre côté, Urlendin n'a pas
bronché. Le nez tendu vers le grillage, il semblait guetter le retour de celle
que j'avais dérangée.
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