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La faillite

 

- extrait -

 

 

 

 

 

 

    Quand Papa est venu me chercher à l'internat ce samedi-là, il avait sa tête des mauvais jours : le front barré, la joue creusée et le regard fuyant derrière ses lunettes. J'ai tenté de le dérider en racontant quelques anecdotes de la semaine. Hélas, chacune a fait un flop retentissant. J'ai fini par me carrer contre la portière de la voiture et essayé de récupérer un peu de sommeil.

 

   C'est dur de devenir interne en quatrième, de quitter ses parents, ses petites affaires et notre immense maison-château qui est en fait un restaurant.

   C'est pénible de partager  sa chambre à l'école avec quelqu'un qui n'aime pas les mêmes posters, la même musique. Il faut dire que je suis passionné d'opéra avec une prédilection marquée pour Carmen de Bizet et que ce n'est pas du goût de mes contemporains.

   Le hic, aussi, c'est qu'un garçon de treize ans ne peut avouer qu'à la maison il dort encore avec son ours en peluche dans les bras sans devenir la tête de Turc du dortoir.

   Autant admettre que j'ai souvent mouillé mon oreiller au début de l'année. Le bisou de Maman me manquait autant que le contact doux et rugueux à la fois de mon vieil ours.

   De toute manière, je n'avais pas le choix. On habite loin de tout et le métier de mes parents les occupe trop pour qu'ils puissent effectuer chaque jour le trajet qui me sépare du seul collège de la région où je peux suivre une section sport études en équitation.

   J'ai cité les inconvénients de l'internat. Pour être juste, je dois évoquer l'avantage majeur : je suis débarrassé de Caroline, mon infernale petite soeur de deux ans, que j'aime sincèrement quand je suis éloigné d'elle.

 

   Papa n'a pas desserré les dents du voyage et le compteur frôlant les 120 sur les quarante kilomètres de routes sinueuses me confirmait son humeur. J'avais intérêt à me tenir à carreau durant le week-end et obtempérer au quart de seconde.

 

 

 

 

   Déjà que mes retours à la maison ne sont pas drôles ! C'est le moment où mes parents ont le plus de travail et rarement une minute à me consacrer. Pourtant, j'ai affreusement besoin de câlins, d'attention et de vider mon sac au sens propre comme au sens figuré. Je voudrais pouvoir me poser au calme et faire avec eux le bilan de la semaine.

  Quant à mon sac, il n'a rien de propre et Maman s'arrache les cheveux quand elle découvre le mélange de linge mal rangé, les serviettes de toilette au bord de la moisissure et l'odeur insistante de cheval qui imprègne le tout. Ce parfum tenace, Papa et Maman l'aiment autant que moi mais ce concentré d'une semaine parvient même à me gêner moi quand je sors du contexte du club pour reprendre mes petites habitudes de la maison.

 

  Le samedi, traditionnellement, je fais le box d'Un Amour, notre cheval (c'était l'année des U !) C'est grâce à lui que j'ai attrapé le virus. Mes parents l'ont acheté en arrivant ici parce qu'ils ont toujours adoré les chevaux et que le restaurant trône au milieu d'un hectare de terrain.

   C'était leur rêve d'enfant d'avoir un cheval à eux. Entre rêve et réalité, il y a un grand écart. Quand on devient adulte, chargé de famille et qu'on exerce un métier avec des journées de seize heures en moyenne, il faut bien enrôler  quelqu'un pour combler l'écart. Et ce quelqu'un, devinez, c'est moi !

   Un Amour passe sa semaine à brouter dans le pré et rentre au box la nuit. Mes parents ont juste le temps de le nourrir matin et soir et de remplir son seau d'eau entre deux services. Un cheval boit entre 40 et 60 litres d'eau par jour et il n'y a pas d'abreuvoir automatique comme au club.

   Quand je rentre, bonjour les dégâts ! Le box est plein de crottins et de paille souillée d'urine et la robe d'Un Amour maculée de boue. Notre cheval adore se rouler et, de préférence à proximité d'une flaque d'eau. C'est plus fort que lui, dès qu'on le lâche, il trotte tête en l'air, naseaux ronflant de bonheur.

 mMireille Mirej, 1997.

Juste quelques photos pour vous aider à patienter.

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