J'ai fait leur
connaissance lorsque j'avais quatre ans
et je n'oublierai jamais ce jour-là !...
C'est elle que j'ai vue en premier, grande, brune et,
toute de suite, je l'ai aimée. Lui se tenait derrière elle, les épaules
carrées, des lunettes, l'air sympa. Un peu plus loin, il y avait un gamin qui
faisait semblant de monter à cheval sur un énorme bidon. Je l'ai regardé avec
curiosité. Les enfants des hommes se comportent toujours bizarrement !
Mais ce n'était pas lui qui m'attirait. Je me demandais ce que ces gens
faisaient là et pourquoi on me les présentait.
Avant eux, j'avais connu quelques aventures plus ou
moins agréables, mais ma mémoire est infidèle. C'est tellement loin ! Je
vais sur mes dix-neuf ans, ce n'est pas rien.
Je me souviens peu de ma mère, Priola, et n'ai jamais
rencontré mon père, Gamin d'Amour. Mais j'avais de bonnes origines et étais le
portrait craché de mon arrière-arrière-grand-père, Carioca II, un trotteur
célèbre, père de Sabi Pas qui avait lui-même enfanté mon grand-père,
Epaminondas. C'est à cause de mon physique que mon naisseur a décidé de ne pas
me castrer. Il espérait un crack dans son écurie pour que mes saillies lui
apportent encore plus que mes gains en courses.
Hélas, la vie n'est pas si simple et je me suis
retrouvé, un jour, aux portes d'un abattoir du Val d'Oise où une drôle de femme
a réussi à me récupérer juste avant l'heure fatale où les chevaux sans grand
avenir perdent leurs papiers d'identité quelques heures avant d'y laisser aussi
la vie.
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