Cet été, comme tous les étés
depuis que je suis né, je suis allé passer mes vacances chez Papé.
Papé, c'est mon grand-père, le
père de Papa. Il habite à la campagne, et c'est bon pour mes poumons de passer
deux grands mois tous les ans loin de la ville.
En dix ans, Papé m'a tout
appris : regarder, sentir, écouter, toucher, goûter. Bien sûr, je découvre
des choses aussi à la ville, avec Papa et Maman, mes copains, et à l'école.
Mais, avec Papé, j'ai l'impression de connaître les vraies choses, celles qui
permettent de voir à travers le monde des autres.
Avec Papé, je sais que la trace
profonde, dessinée dans la boue du chemin, est celle du grand cerf roux qui a
perdu un bois, en heurtant une voiture au printemps. Je sais que l'odeur
sauvage, imprégnée dans les herbes du talus, est celle de la renarde qui nous a
volé une poule, jeudi dernier. Je sais que la chouette a hululé cette nuit au
bout du pré, parce qu'elle avait enfin trouvé un mari. Je sais que les
vertèbres de Poilu, notre vieux cheval, se sont remises en place. Je sais que
la chair de cette prune rouge vient de la colline de Boisemont, et non du
verger d'en bas, celui qui borde le ruisseau.
Toutes ces choses, apprises avec
Papé, me servent aussi en ville. Je vois au premier regard que Maman est de
mauvaise humeur et que je dois être adorable, pendant un bon quart d'heure. Je
sens qu'il va pleuvoir, parce que Titoune, la chienne, empeste soudain plus
fort que le pire marécage. J'entends que Simon, mon meilleur ami de classe, me
ment, pour aller rejoindre sa copine, au lieu de faire ses maths avec moi. Je
reconnais du bout des doigts le pull que je veux mettre, lorsque je n'ai pas le
courage d'ouvrir mes volets. Je devine d'un coup de langue que les yaourts
achetés par Papa sont pleins de colorants, même si l'étiquette semble dire le
contraire.
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